Concernant les prescriptions hors AMM, vous semblez indiquer dans vos observations suite à votre entretien de septembre 2024 que vous n'avez pas signalé le caractère hors AMM sur les prescriptions. Est-ce bien le cas ?
J’ai reçu cette demande de la part de mon avocate. Je pense que la réponse est suffisamment intéressante pour vous la partager.
Je me permets de rappeler le contexte dans lequel je suis actuellement avec le service médical de la CPAM, qui me décrivait comme faisant courir un risque injustifié à mes patients, en ne prodiguant pas des “soins conformés aux données acquises de la science”.
Je pense qu’il est important de garder ça en tête pour la suite.
Je rappelle aussi que je suis venu sur les réseaux sociaux, dans un second temps; quand j’ai vu que les discussions avec les différentes tutelles de santé ne menaient à rien. Le raisonnement qui consiste dire que je suis en difficulté à cause de mon activité sur les réseaux est donc circulaire.
Je n’ai en effet, pas signalé le caractère hors AMM sur les prescriptions.
Les raisons sont les suivantes:
1) La prescription hors AMM est extrêmement fréquente en psychiatrie.
Une étude retrouvait 43,5% de prévalence en centre hospitalier. Je tiens à rappeler que j’ai été le seul psychiatre à même de recevoir des patients en sortie d’hospitalisation pendant plus de 2 ans, le secteur psychiatrique des différents secteurs étant en pénurie complète de médecins.
J’ai des dizaines de patients qui peuvent témoigner avoir reçu leurs ordonnances par la poste, sans contact avec le psychiatre, pendant des mois.
Je suis étonné que la CPAM ne se soit pas manifestée sur ce problème d’ordonnances postales, mais qu’elle se mobilise à ce point pour mes prescriptions.
Je suis étonné, et je me demande pourquoi.
2) La prescription hors AMM était déjà présente chez la majorité des patients que j’ai récupéré.
Voici quelques exemples:
Toutes les prescriptions d’antidépresseurs chez des patients bipolaires, pour les phases dépressives.
Toutes les prescriptions de psychotropes pour les phases mixtes (aucune molécule n’a l’AMM).
Prescriptions pour les tics (aucune molécule n’a l’AMM)
Prescription chez les personnes atteintes de personnalité borderline (aucune molécule n’a l’AMM).
Prescriptions pour les TOC en cas d’échec des antidépresseurs (aucune molécule n’a l’AMM).
Prescriptions de neuroleptiques chez les patients qui ne sont pas atteints de schizophrénie ou qui n’ont pas de problématique maniaque.
Prescriptions de neuroleptiques chez les enfants et les adolescents qui ne répondent pas au critère de “gravité” vague qu’on retrouve dans les résumés des caractéristiques du produit.
Prescriptions d’aripiprazole chez des adolescents atteints de troubles bipolaires au-délà de 12 semaines. Il n’y a donc, de fait, aucune molécule ayant l’AMM pour le trouble bipolaire chez l’adolescent en France. Je rappelle à toute fin utile que ce trouble débute en moyenne à l’âge de 14 ans.
Prescriptions pour les troubles délirants persistants (aucune molécule n’a l’AMM).
Toute association de psychotrope est en dehors de l’autorisation de mise sur le marché.
Dans d’autres pays, par exemple la lurasidone ou la lumatéperone sont approuvées quand associées au lithium. Ces molécules ne sont bien sûr pas disponibles en France, j’y reviendrai.
Toutes les prescriptions de benzodiazépines et d’hypnotiques sur le long terme.
Tous les neuroleptiques autres que la clozapine prescrits dans un contexte de schizophrénie résistante.
Cette liste n’est pas exhaustive, mais représente encore une fois la majorité de mes patients.
Ecrire “hors AMM” sur les ordonnances des patients que j’ai récupéré entrainerait la non prise en charge par la CPAM des molécules en question; ce qui signifie parfois toute l’ordonnance.
Je ne vois pas pourquoi les patients devraient payer leur traitement du jour au lendemain, alors qu’il ne le font pas depuis des années, parfois des décennies.
Un comité d’éthique mériterait d’être saisi.
3) Le fait qu’un médicament dispose de l’AMM n’est pas corrélé à sa pertinence d’utilisation, ni a la présence d’études scientifiques pour le justifier.
L’utilisation telle que préconisée dans le résumé des caractéristiques du produit est souvent très imprécise. Elle n’a pas été rédigée par des praticiens, mais par le laboratoire, pour obtenir l’exploitation de la molécule.
Ce sont des choses qui n’ont rien à voir avec la prise en charge des patients.
Je donne un exemple avec l’AMM de l’olanzapine, un neuroleptique utilisé dans le trouble bipolaire.
L'olanzapine est indiquée dans la prévention des récidives chez les patients présentant un trouble bipolaire, ayant déjà répondu au traitement par l'olanzapine lors d'un épisode maniaque.
Les études de discontinuation rapide n’étant pas valides scientifiquement, toutes les autorisations de marché qui en découlent sont douteuses.
Ce sont des considérations qui ont été discutées ici, entre autres.
Autre exemple:
Le tercian (cyamémazine), un neuroleptique de type phénothiazine, a dans sa notice des indications qui ne sont pas issues d’études randomisées contrôlées reproduites, comme on est en droit de l’attendre pour la mise sur le marché d’un médicament.
J’ai mis en italique ci-dessous les situations concernées par cette absence de données.
Chez l'adulte:
· Etats psychotiques aigus
Etats psychotiques chroniques (schizophrénies, délires chroniques non schizophréniques: délires paranoïaques, psychoses hallucinatoires chroniques).· Traitement symptomatique de courte durée de l'anxiété de l'adulte en cas d'échec des thérapeutiques habituelles.
· En association avec un antidépresseur, traitement de courte durée de certaines formes sévères d'épisode dépressif majeur.
Cette association ne peut se faire que pendant la période initiale du traitement, soit pendant 4 à 6 semaines.Chez l'enfant de plus de 6 ans:
Troubles graves du comportement avec agitation et agressivité.
Il y a, en réalité, un véritable problème avec cette molécule, surtout quant on sait que son utilisation est largement répandue chez les enfants et adolescents.
Dans cette situation, je ne vois pas d’autre explication en dehors du fait que le tercian est une vielle molécule. Molécule qui serait maintenant installée dans les pratiques sous une forme de clause du grand-père.
Il est étonnant, pour ne pas dire inquiétant, que la CPAM de la Mayenne laisse passer l’utilisation de molécules pour lesquelles nous n’avons que des données préoccupantes en terme de sécurité et aucune en terme d’efficacité; mais qu’elle se mobilise pour les molécules dont les prescriptions peuvent être justifiées.
J’insiste sur le fait que je ne m’attends pas à ce que le service médical de la CPAM dispose des compétences pour apprécier ce genre de considérations.
Je m’attends néanmoins à ce qu’il fasse l’effort de lire les articles que je leur ai envoyé, et ce même s’ils sont en Anglais. Il m’a en effet été répondu que les articles en Anglais n’étaient pas valables.
Vu que l’ensemble des publications sont en Anglais et que la publication Française en psychiatrie la plus importante a un impact factor parmi les plus faibles, c’est une position extrêmement préoccupante.
4) Le remboursement des molécules doit être fait selon leur efficacité, leur tolérance, et leur pertinence économique, non pas avec l’autorisation de mise sur le marché comme seul critère.
La CPAM est une assurance, à laquelle nous cotisons tous.
S’il existe un médicament avec des données solides, répliquées, et pas cher (comme la metformine pour la gestion des problématiques métaboliques par exemple), il n’y a aucune raison de ne pas le prendre en charge. Le bénéfice a été démontré à maintes reprises.
Alors que la CPAM refuse la prise en charge des agonistes des GLP1 pour l’obésité, en mettant en avant leur coût, on est en droit de se demander quelle est la justification du refus de la prise en charge de la metformine, dont la boite ne dépasse pas la dizaine d’euros.
A l’heure de la “santé mentale grand cause nationale”, je pense qu’un comité d’éthique mériterait également d’être saisi.
Il n’y a pas de raison que les patients payent pour des molécules dont l’efficacité et la tolérance a été prouvée, mais que la solidarité nationale prenne en charge des molécules sans aucune donnée (comme le tercian).
5) Les prescriptions hors AMM sont les mêmes que je faisais quand j’exercais à l’hopital psychiatrique
Néanmoins, je n’avais jamais eu de problèmes avec la CPAM jusque là. Pendant longtemps, je n’ai pas compris d’où venait ce double standard.
L’explication m’a été donnée par le service médical de la CPAM, qui m’a dit verbatim que l’on “m’aurait pas dérangé si je travaillais à l’hopital”.
Je trouve cette position, là aussi, très inquiétante. A fortiori quand les files actives de patients psychiatriques débordent sur le libéral parce l’hôpital ne peut plus suivre.
6) Les prescriptions “hors AMM” que j’ai fait sont recommandées et justifiées
Il existe, pour chacune de mes prescriptions, des études, et des recommandations pour les justifier. Qu’elles soient ou non dans l’AMM.
Le service médical m’a opposé qu’il n’y avait pas de recommandations Françaises. Je leur réponds, ici encore, que les recommandations sont basées sur des études que tout médecin doit être capable de critiquer - y compris, et surtout, les médecins conseil.
Les études qui sont utilisées pour avoir les AMM sont des études internationales, elles ne sont pas faites en France. Si la CPAM allait au bout de son raisonnement, elle devrait exiger des études en France avant de rembourser, ce qui n’est pas le cas.
La Haute Autorité de Santé est par ailleurs particulièrement lente pour faire ses recommandations. Il n’existe à ce jour aucune recommandation pour la prise en charge du trouble bipolaire en psychiatrie, par exemple. Quand les recommandations sont faites, elles sont majoritairement traduites des recommandations des autres pays. Par exemple, le NICE (l’équivalent de la HAS aux UK) est cité 69 fois dans leur recommandations sur les troubles neurodéveloppementaux, qui n’est arrivée qu’en 2024.
Je dispose par ailleurs de plus de 2 000 points de formation médicale continue. Les pays exigeant une formation médicale continue (et qui la surveillent, ce qui n’est pas le cas en France), s’attendent à une moyenne de 45 points par an. La CPAM a néanmoins décidé que ces points n’avaient pas de valeur en France.
Les justifications de mes prescriptions sont issues de cette formation continue.
Deux expertises psychiatriques ont par ailleurs considéré que mes prescriptions étaient conformes aux données acquises de la science.
J’ai également pu intervenir dans une formation certifiée “développement professionnel continu”.
Je trouve particulièrement préoccupant que le service médical ne soit pas au courant de la pertinence de ces prescriptions, ce qui m’interroge sur la réalité de leur propre formation médicale continue.
Je rappelle ici que la formation médicale continue est une obligation éthique, ordinale, et légale.
7) La France manque cruellement de psychotropes (en dehors de toute pénurie).
Attention, je ne parle pas des pénuries de psychotropes de 2025 (plus de 14 psychotropes manquants depuis le début de l’année). Je parle du choix de psychotropes, qui en France est de plus en plus restreint. Les molécules anciennes sont d’utilisation restreinte (exemple du clonazepam, sans qu’on sache vraiment pourquoi), et les molécules récentes ne sont pas disponibles.
Voici une liste non exhaustive des molécules que nous n’avons pas en France:
Lurasidone
Lumatéperone
Quétiapine 25 mg
Quétiapine libération immédiate
Cariprazine
Brexpiprazole
Clonidine libération prolongée
Guanfacine
Perphénazine
Tranylcypromine
Prazosine libération immédiate
Lithium orotate
Dextrométhorphane/bupropion
Dextrométhorphane/quinidine
Cytisine
Isocarboxazid
Lisdexamfetamine (n’était pas disponible au moment où les faits me sont reprochés)
Serdexmethyphenidate
Viloxazine
Xanoméline/trospium
Penfluridol (pénurie constante)
Buproprion (non remboursé, malgré l’existence de génériques depuis des années dans les autres pays)
S’il y avait un peu plus de choix, on se retrouverait probablement moins souvent à faire du hors AMM.
La quétiapine, par exemple, est la seule molécule ayant l’AMM dans la dépression bipolaire. Elle n’est disponible en France que depuis 2010. Avant cette date, toute molécule prescrite dans la dépression bipolaire était de facto hors AMM. La CPAM pouvait donc, à n’importe quel moment, demander un remboursement aux patients ou aux prescripteurs.
Aujourd’hui encore, vu la tolérance très médiocre de la molécule, la majorité des patients (80% selon les études, en réalité) ne répondront ou ne toléreront pas la molécule.
Est-ce aux patients de payer de leur poche parce que la France ne dispose que d’un choix de molécules psychotropes très restreint ?
Je ne pense pas.
Je rappelle également que le hors AMM est possible dès qu’il n’y a pas d’alternative, ce qui se rencontre en pratique quotidiennement.
8) Il existe une multitude de molécules pour lesquelles des études indépendantes sont réalisées, mais pas de demande d’autorisation de mise sur le marché réalisée par le laboratoire fabricant.
La demande d’autorisation de mise sur le marché est le résultat de considérations financières qui sont les préoccupations du laboratoire fabricant. Plusieurs molécules n’ont pas d’AMM simplement parce qu’elles existent depuis longtemps et qu’un générique existe (et qu’elles n’ont donc aucun intérêt financier pour le laboratoire).
Il est extrêmement préoccupant que notre système de santé décide de rembourser les psychotropes en se calant sur les objectifs financiers des laboratoires, et non sur les données scientifiques.
9) Il existe une multitude de troubles psychiatriques pour lesquels il n’y a aucune autorisation de mise sur le marché.
Encore une fois, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de molécules efficaces.
Mais pour ces patients qui n’ont pas la chance d’avoir un trouble financièrement intéressant pour les laboratoires, sont-ils condamnés à payer de leur poche ?
10) Certains patients n’ont pas les moyens de payer les médicaments si j’écris “hors AMM” sur l’ordonnance
Il y a dès lors 2 situations problématiques:
Les patients qui étaient déjà avec des ordonnances hors AMM, qui se retrouveraient en rupture de traitement si je m’étais mis à écrire “hors AMM” lors de la reprise d’un suivi
Les patients qui étaient en échec thérapeutique, pour lesquels il n’y a que des médicaments hors AMM, qui se retrouvaient dès lors condamnés
10) Les patients sont en moyenne satisfaits des mes prescriptions
Les avis Doctolib, recueillis pour chaque patient, par e-mail, de façon anonymisée sont les suivants:
Il n’y a à ce jour toujours aucune plainte de patients. Il est rare que le service médical s’inquiète de la prise en charge des patients alors qu’eux ne se plaignent de rien.
Quand j’ai annoncé aux patients que je ne pouvais plus prescrire - car la CPAM m’a bien annoncé que je ne pouvais pas prescrire ces molécules qu’elle juge dangereuse, même avec la mention hors AMM - plusieurs patients ont décompensé.
Ils se sont proposé pour témoigner, ça devrait être intéressant.
11) Des dizaines de psychiatres prescrivent de cette façon sans mettre hors AMM, sans que ça ne pose de problème.
J’ai des dizaines de témoignages de confrères qui prescrivent de façon similaire depuis des décades, sans se faire déranger.
Je me demande pourquoi j’ai le droit à autant d’attention.
Cher Michaël.
Votre publication est pertinente et juste , mais risque de ne pas être entendue par vos adversaires.
Permettez moide vous donner un conseil avisé, celui d'un ex-médecin-conseil , harcelé et condamné par la CPAM.
Pensez que les personnes en face de vous n'ont rien à cirer de la santé de vos patients et de savoir si vous êtes un prescripteur qui privilégie d'abord la qualité et l'intérêt des patients.
Ce sont des administratifs et qui sont payés pour vous faire céder aux injonctions et vous mettre en défaut.
L'histoire de la prescription hors-AMM comporte de nombreux exemples en plus de la psychiatrie en pratique ce sont des situations très fréquentes, la majorité des prescriptions en pédiatrie et en gériatrie sont hors-AMM par exemple.
Ce que je vous conseille en tentant de l'expliquer à votre Avocate ( a-t-elle déjà gagné contre la CPAM ? ) c'est :
1°) De ne pas répondre de généralités à la CPAM et confirmant que toutes les prescriptions contrôlées sont hors-AMM, demandez simplement d'étudier dossier par dossier, cas par cas, et ordonnance par ordonnance, exigez qu'un débat sur la pertinence de vos prescriptions pour chaque ordonnance soit établi avec un médecin-conseil spécialiste en psychiatrie et disposant d'une expérience de clinicien comparable à la votre.
2°) Rappellez la réglementation des prescriptions hors-AMM légales dès lors qu'il n'y a pas d'alternative dans chaque situation.
3°) Rappellez que le risque qu'un patient ne soit pas remboursé et qu'il ne prenne ainsi pas son traitement pourrait le déséquilibrer et l'amener au suicide , dont la CPAM pourrait porter ainsi une part de responsabilité, raison principale pourquoi vous n'avez pas biffé la mention "hors-AMM" .
4°) Donnez l'exemple de l'oncologie pédiatrique où la majorité des chimiothérapies ou nouvelles thérapies ciblées sont hors-AMM, imaginez si un onco pédiatre établissait une ordonnance en précisant "Hors-AMM" et demande à la famille de payer ces traitements extrêmement couteux ?
Ce qui arrive malheureusement parfois et impose des cagnottes solidaires .
Faudrait-il imaginer uen cagnotte solidaire pour chacune de vos ordonnances ?
Ne laissez rien à la CPAM, battez-vous , votre combat est juste et noble et le Droit est de votre côté.
Bon courage
Michaël FINAUD
Quand je prescris hors AMM, je sais que j’engage ma responsabilité ordinale, civile et pénale en cas d’effet indésirable grave. Je n’engage pas ma responsabilité financière vis-à-vis de l’assurance maladie